NATURE
SUR MESURE
Les
nouvelles fibres textiles synthétiques
semblent venues tout droit de la science-fiction.
Interactives, intelligentes, elles subissent des
techniques d'encapsulation, d'inclusion, de greffage,
d'apprêt ou de laminage, et deviennent cosmétiques,
climatiques, thérapeutiques, parfumées…
pour nous offrir des vêtements qui font
plus que nous habiller : ils nous soignent, tiennent
chaud quand il fait froid et inversement, etc.
Certaines vont même jusqu'à imiter
l'aspect, le toucher et les qualités intrinsèques
des fibres naturelles. Et parallèlement
à cette explosion, on assiste sur le marché
à une poussée des fibres textiles
naturelles en général et végétales
en particulier, qui trouvent un renouveau d'inspiration
auprès des stylistes et des marques et
un regain de séduction auprès du
consommateur. Antibactériennes, thermorégulatrices,
hydrophiles, même nutritives... petit tour
d'horizon de ces végétaux à
porter et de leur vraie nature.
Le
coton, fibre naturelle ?
Résumons l'état des lieux :
Le coton représente environ 1/3 du volume
global des matières utilisées par
le textile. Pour 3 % des surfaces cultivées
au monde, il nécessite ¼ des pesticides.
Sa culture le place au 3è rang après
le blé et le riz pour la consommation d'eau.
Il faut du chlore pour le blanchir avant d'utiliser
des teintures parfois encore à base de
métaux lourds pour le colorer, ou des azurants
optiques pour le rendre plus blanc que blanc...
Souvent mêlé à du lycra, son
effilochage devient impossible, et rend donc le
recyclage des vêtements plus difficile.
On
continue ?
Aux USA, on le récolte après défoliation
chimique en saupoudrant du cyanure de calcium
sur les plantes. En Afrique, on évalue
à 1,5 million le nombre de producteurs
morts d'avoir utilisé des pesticides interdits
en France. Et il a asséché une des
plus grandes mers intérieures de la planète
: la mer d'Aral. De quoi donner à n'importe
quel T-shirt l'allure d'un pestiféré…
Quelles sont les issues pour y échapper
? Avec le coton bio, on élimine une grande
partie des problèmes, de la culture à
l'ennoblissement. Des techniques alternatives
pour le traitement et l'ennoblissement du coton
existent. Pour le blanchiment : le peroxyde d'hydrogène
ou l'eau oxygénée à la place
du chlore. L'anti-curling : utilisation d'amidon
(pomme de terre par ex) au lieu de l'acétate
de vinyle, et les teintures naturelles et végétales.
Il existe même 75 variétés
de coton naturellement coloré, du paille
au gris en passant par le mauve et le vert.
Aujourd'hui, les premiers producteurs de coton
bio sont les USA, suivis par la Turquie, l'Egypte,
l'Inde, Israël, et plusieurs pays en Afrique.
Même si sa culture est moins productive,
l'activité reste rentable grâce aux
aides accordées dans certains pays et les
économies de produits phytosanitaires.
Des programmes de soutien commercial et technique
commencent à voir le jour pour accompagner
les producteurs engagés. C'est le cas du
projet Maïkal en Inde, où la Coop
Suisse fait fabriquer les produits sous son label
Coop Natura Line, à la fois bio et équitable.
Les producteurs concernés, - plus de 1000
familles en Inde et récemment en Tanzanie
et en Ouganda- se retrouvent à cultiver
ainsi en alternance coton, maïs, piment,
blé, arachide et soja – bio bien
sûr.
L'enjeu du coton génétiquement modifié
est de taille : celle de la fleur qui est facilement
4 fois plus grosse que celle de culture bio, plus
les traditionnels arguments sur les pesticides.
Une fois encore, c'est le coton bio qui y échappe,
et pas forcément celui issu du commerce
équitable… Les labels indépendants
sont Imo, BioRe en Suisse, Skal aux Pays-Bas,
Ökotex en Allemagne... En France, c'est souvent
une simple mention "coton biologique".
Le chanvre
Détrôné par le nylon aux USA
dans les années 60 à cause de sa
parenté avec le cannabis et sous la pression
du lobby pétrolier, le chanvre se réimplante
lentement mais sûrement. La culture du Cannabis
Sativa est moins gourmande en eau que le lin,
il croît rapidement et s'adapte pratiquement
à tous terrains et climats. Il a peu de
prédateurs et étouffe lui-même
les mauvaises herbes, tout en drainant et régénérant
la terre de ses longues racines. Sa culture est
en théorie simple et naturelle, ce qui
explique probablement la timidité d'une
culture bio, qui existe néanmoins en Allemagne,
en Chine et en France. Reste le risque, face à
la compétition économique, du passage
à une culture intensive et donc nocive.
Entre le chanvre et nous, c'est une vielle histoire
: utilisé depuis plus de 5 000 ans pour
les cordages, les voiles de bateaux et les vêtements,
il est solide et a un fort pouvoir absorbant.
Sa fibre arrête même les ultraviolets
plus facilement que d'autres. Pour échapper
à son aspect rustique, on joue sur la maille,
les variétés plus souples et soyeuses,
ou on le mélange à toutes sortes
d'autres fibres : lin, coton, ramie, laine, soie...
Aujourd'hui dans la mode, même si des créateurs
comme Giorgio Armani le qualifient de 'noble'
et en sont des défenseurs actifs –
la marque fait partie du Consortium Canapa Italie
– son développement reste freiné,
à cause des trop faibles subventions et
de la difficulté du moissonnage : le chanvre
contient beaucoup de silice qui désaiguise
tout ce qui coupe et est si solide qu'il abîme
les machines. Le chanvre se trouve dans tous les
styles et pour tous les goûts : The Hemp
Trading Company, en Angleterre, vend des T-shirts
qui trempent dans l'art. Avec leurs graffitis
d'artistes, ils sont portés et soutenus
par les artistes de hip hop, drum & bass...
La marque Peau de Chanvre à Saint Malo
a choisi, quant à elle, l'authenticité
de la fibre dans un style naturel.
Le
lin
Le lin est très proche du chanvre sous
divers aspects : sa culture est facile, il s'adapte
et exige peu de pesticides. Là encore,
c'est probablement ce qui freine le développement
de sa filière biologique. Toutes les parties
de la plante ont une utilité : les fibres
longues pour le textile, les courtes pour les
tissus techniques ou les matériaux composites
; les graines donnent de l'huile ou servent dans
l'alimentation, le reste pour l'alimentation animale
ou les combustibles. Sa transformation aussi est
similaire à celle du chanvre : arrachage
de la plante traditionnellement à la main
-, séchage, fanage... puis rouissage, broyage,
peignage...
Depuis plus de 10 000 ans, son usage est destiné
au textile habillement, car il est frais, agréable,
anallergique, absorbe bien les couleurs, se bonifie
avec le temps, est aussi solide mais plus souple
que le chanvre. Il a l'inconvénient majeur
de se froisser, mais le lin infroissable a subi
des traitements polluants s'il n'est pas marié
à de la viscose, de la polyamide ou du
polyester. Tricoté en maille, il surprend
par sa souplesse et son soyeux. Sans compter tous
les mariages avec les fibres naturelles qu'il
permet, comme la soie, la laine, le cachemire...
Le lin fait l'objet de nombreux ennoblissements
dans la mode. En gaze de lin à effets cloqués,
ou tiré, mélangé, on peut
le travailler à l'infini pour obtenir le
résultat souhaité, très moderne
avec cette matière historique.
Le lin européen est réputé,
les fils et les tissus des adhérents de
la CELC (Confédération Européenne
du Lin) bénéficient de la marque
MASTERS OF LINEN déposée dans plus
de 60 pays. On le trouve chez toutes les grandes
marques : Armani, Dolce e Gabbana, Hermès,
Hugo Boss, Issey Miyake, Yohji Yamamoto, Ralph
Lauren, Calvin Klein, Marc Jacobs…
SUITE
© EKWO
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DOSSIER
ENVIRONNEMENT & PHENOMENES
Texte :Monica Fossati
Un
livre référence :
A la recherche du vêtement écologique,
de Gérard Bertolini et Pierre Melquiot,
éd. SAP. Les deux auteurs, le premier
économiste, le second Docteur ingénieur
en Génie industriel et Environnement,
s'adressent ici aux consommateurs mais également
aux industriels concernés, pour les
éclairer sur les dessous des vêtements.
Des détails sur les diverses fibres,
naturelles, d'origine végétale,
animale, et aussi les synthétiques
ou à base de matériaux recyclés…
également sur l'ennoblissement à
travers les progrès technologiques,
les solutions naturelles... Le cycle de vie
complet du vêtement est abordé,
puisqu'on y voit les problématiques
de la distribution, des déchets, le
réseau récupe, l'entretien…
A notre connaissance, l'ouvrage est un des
plus réussis sur la thématique.
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Fibres
naturelles ou artificielles ?
On a tendance à conclure,
lorsque le matériau de base est d'origine
naturelle et a fortiori végétale,
que la matière obtenue l'est aussi. Pas
tout à fait. Dans le cas des matières
dites artificielles, la raison est simple : on
part d'une plante certes, mais l'on extrait avec
diverses manipulations sa cellulose, son amidon
ou ses protéines pour travailler alors
la matière. Ces 'manipulations' sont des
procédés physico-chimiques faisant
intervenir des produits plus ou moins nocifs,
et nécessitent des dépenses d'eau
et d'énergie.
Des
techniques d'ennoblissement
L'ennoblissement des tissus est une pratique
assez récente, qui consiste à
conférer au tissu des propriétés
particulières de plus en plus sophistiquées
en termes de résultats comme de techniques.
Suivant le résultat souhaité,
les procédés de cette étape
est lourde en termes d'impacts sur l'environnement
: 5 à 5 000 m3 d'eau par tonne de
textile, 5 à 50 kWh d'électricité
par kilogramme de matière, et surtout
des m3 d'eau polluée ainsi que l'air
par les composés chimiques nocifs.
Le blanchiment autrefois obtenu sous l'action
des rayons du soleil est devenu chimique,
avec des produits à base de chlore,
comme l'eau de Javel, aujourd'hui remplacée
par d'autres produits chlorés et
par l'eau oxygénée, solution
moins polluante pour l'eau. Vient ensuite
la teinture, plus complexe qu'il n'y parait,
car outre les différents composants,
aussi nocifs que les métaux lourds
(notamment le chrome pour le noir) ou les
produits azoïques à base d'amines
cancérigènes ou organo-chlorés,
arsenic, etc... des étapes chimiques
préparatoires facilitent la fixation
du colorant sur la fibre. De même
pour l'impression qui réclame encore
plus de précision et de subtilité
pour son rendu. Les deux font intervenir
de nombreux composés différents,
dont les effets sont allergènes et
qui polluent l'eau. Enfin, l'apprêt
modifiera l'aspect global du tissu, à
part certains mécaniques, ils sont
tous chimiques. Le mercerisage confère
son aspect soyeux au coton, par une application
de soude caustique à 0°C puis
un rinçage. L'infroissabilité
est obtenue le plus souvent à base
de résines, l'azurage optique pour
rendre 'plus blanc que blanc' avec des dérivés
du stilbène, de la pyrazoline ou
du benzanol. L'antifeutrage, l'antitache,
l'imperméabilisation font appel à
des résines synthétiques,
à base de formol ou fluorées.
Les traitements antimicrobiens font même
intervenir des phtalates, des bisphénols,
des composés à base de zinc...
et les anti-UV réclament le dioxyde
de titane ou le benzotriazole.
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La viscose par exemple,
est issue de la cellulose du bois,
dissoute dans de la soude caustique, puis extrudée
dans un bain d'acide sulfurique et de sulfate
de soude, qui la fait coaguler. Aujourd'hui, la
cellulose du bois est travaillée avec des
process moins polluants, pour obtenir le lyocell,
fibre aux nombreuses qualités : imperméable,
il respire et est absorbant, ne se chiffonne pas
et se défroisse facilement dans une chaleur
humide. Il ne rétrécit pas et est
stable, sa capacité d'absorption des teintes
est grande, et l'on peut obtenir un toucher "peau
de pèche". Commercialisé sous
le nom de Lenzig Lyocell ou Tencel, le lyocell
est apprécié pour son côté
naturel et néanmoins technique.
Le bambou
est la plante par excellence de l'antiquité
chinoise. Et certainement encore aujourd'hui.
On connaît déjà ses multiples
applications, et sont arrivés en magasins
des vêtements en fibre de bambou. Sa croissance
est rapide – jusqu'à 1m par jour
- et sa culture facile, mais c'est au niveau de
la transformation que son utilisation dans le
textile devient plus délicate. Certains
filateurs le préfèrent naturel,
et le mélangent à d'autres fibres
pour améliorer ses qualités techniques.
La fibre est vraiment intéressante pour
la mode, car son toucher est doux et elle a un
fort pouvoir absorbant (5 fois plus que le coton).
Mais son utilisation devient très intéressante
pour ses propriétés antibactériennes
reconnues, qu'elle garde durant plusieurs lavages.
Selon les mêmes principes
d'élaboration, le soja
donne ses protéines pour
faire sa fibre. Le résultat est surprenant
de soyeux, brillant, doux et velouté au
toucher. Quant à ses caractéristiques
techniques : réactif à l'humidité,
il sèche rapidement, est perméable
à l'air et est un peu élastique.
Le maïs,
principalement exploité par Cargill Dow
avec Ingeo, livre son amidon issu du grain, base
de composition des polymères en alternative
au pétrole. Provenant des USA, il est quasiment
certain qu'il est génétiquement
modifié. Le résultat est agréable
: en maille il est doux, fluide, ne se froisse
pas, inutile de le repasser, et sèche assez
rapidement.
Extrait de pin blanc cultivé
en Chine et au Canada, (coupes d'élagage)
le Lenpur
est une viscose qui a "la brillance de la
soie, la douceur du cachemire, la fraîcheur
du lin et l'utilité pratique du coton".
On le surnomme le 'cashmere végétal'.
Grâce à sa structure morphologique,
il a une bonne capacité d'absorption et
d'évaporation de l'humidité et donc
anti-odeurs.
Après de longues recherches
de mise en application, la technique inspirée
du process du Lyocell a permis d'obtenir une fibre
surprenante à base de cellulose et d'algues.
La richesse de ces plantes marines, chargées
d'éléments, confère à
la fibre des propriétés antimicrobienne,
hydratante et anti-inflammatoire. Mais surtout,
et là est son point fort, elle libère
des substances comme le calcium, le magnésium
et la vitamine E, d'après le fabricant.
On se nourrit par les pores ! Il faut donc la
laver en douceur pour ne pas altérer ses
propriétés. Elle peut être
mélangée à d'autres fibres,
en tissé, non tissé et maille, apportant
douceur, élasticité et 'respiration'
au tissu.
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