AFGHANISTAN Une
guerre "juste", disait-on,
pour libérer
un peuple de l’oppression d’un régime
obscurantiste qui voilait les femmes derrière
des grillages bleus et détruisait des bouddhas
centenaires de Bâmyân. Une guerre au
nom de la"lutte
contre le terrorisme international".
Qu’en
est-il de l’Afghanistan aujourd’hui
?
Deux
ans après la chute des talibans
L’état des lieux reste en demi-teinte.
Les imprimeurs profitent de la nouvelle manne
libertaire dont jouit la presse. Les couvertures
laminées des magazines multicolores s’exposent
fièrement sur les présentoirs des
vendeurs ambulants. Partout, les petites échoppes
se multiplient et on y vend de tout, de la savonnette "made
in Pakistan" aux copies de DVD des derniers
films sortis en Occident.
La musique a repris ses droits. Kaboul est une
ville qui ne chante plus uniquement les plaintifs
Allah Akbar des mosquées. Les écoliers
ré-empruntent le chemin de l’école,
installée sous les grands marabouts de
l’Unicef.
Sans les énormes Land Cruiser blancs des
agences de l’ONU et les véhicules
blindés de l’ISAF (Forces Internationales
de Sécurité) qui sillonnent les
rues, on pourrait presque croire que rien ne
s’est passé par ici…
Un
pays en ruine
Et pourtant les stigmates
de la guerre se décèlent
dès que l’on quitte Shar-e-Naw pour
le nord de la ville. Là, ce sont des champs
de ruines à perte de vue, où des
habitats de fortune en bâches plastique
du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés)
apparaissent au milieu des décombres.
Un peu plus loin encore, dans la plaine de Shamali
qui mène au Panjsher, au nord de Kaboul,
les carcasses rouillées de chars gisent
sur le bord des routes. Les chenilles des tanks
servent de ralentisseurs à l’entrée
des villages. Les autres morceaux d’acier
récupérables renforcent les soubassements
des ponts. Les douilles d’obus consolident
les poutres porteuses des maisons.
L’art de la récup’ à l’afghane.
Une reconstruction trop lente
La communauté internationale avait annoncé en
janvier 2002 une aide à la reconstruction
de l’Afghanistan s’élevant à 4,5
milliards de dollars US. Mais depuis lors, les
fonds sont parvenus au compte-goutte, alimentant
en premier lieu l’installation à Kaboul
de la lourde et onéreuse machine onusienne.
Les mécontentements augmentent de la part
d’une population dont les attentes sont
grandes et qui tarde à bénéficier
des fruits de l’aide. Alors que 4,3 millions
d’Afghans souffrent toujours de la faim,
les programmes de nutrition d’urgence mis
en place par les ONG ne représentent plus
une priorité pour les bailleurs institutionnels.
L’aide tend par ailleurs à se concentrer
sur la capitale, pour des raisons politiques,
mais aussi pour des raisons liées à l’insécurité régnant
dans les provinces.
Une économie
dévastée
Vingt-trois années
de guerre ont totalement ravagé l’économie,
essentiellement agricole, du pays. Si les échanges
commerciaux avec les pays voisins ont pu reprendre,
un grand nombre de paysans ont fuit les campagnes
truffées de mines antipersonnelles pour
s’installer dans des logements construits
illégalement aux abords des grandes villes.
L’Afghanistan a retrouvé sa place
peu glorieuse de premier producteur mondial d’opium.
Les revenus tirés de la production viennent
alimenter les mafias locales.
© EKWO
|
DOSSIER
ENVIRONNEMENT & PHENOMENES
Reportage : Julie Billaud
L'insécurité,
frein de la reconstruction
La
stratégie américaine pour renverser le régime Taleb a
reposé sur le soutien et l’armement des différents commandeurs
de province. Si l’Alliance du Nord, composée essentiellement de
Tadjiks, a pu reprendre Kaboul grâce au soutien de la coalition, les commandeurs
des provinces ont remis la main sur leurs anciens bastions et rechignent à reverser
l’impôt au gouvernement central. Les tensions sont grandes, au sein
d’un gouvernement peu représentatif de la carte ethnique du pays
où la présence Tadjik domine indéniablement. Enfin, la question
du terrorisme est loin d’être réglée : les groupes
armés islamistes ont trouvé refuge dans la zone tribale
pakistanaise et continuent de déstabiliser le pouvoir central par de sporadiques
attaques visant en priorité les représentants de la communauté internationale.Dans
ces conditions, il devient difficile pour les acteurs de la reconstruction, de
poursuivre
leur travail dans certaines zones devenues "zones de non droit",
où leur action n’est plus différenciée de celle des
PRT (Provincial Reconstruction Team), mélange obscur du militaro-humanitaire
déjà observé en Bosnie et en Somalie.
Face à la situation,
la menace perdure
Dans un contexte politique aussi fragile, la
marge de manœuvre du gouvernement
de transition mené par Hamid Karzaï reste bien faible. D’abord,
faute de moyens : le gouvernement reçoit à peine de quoi payer
les fonctionnaires. Ensuite, parce que les mécontentements font le jeu
des gouverneurs locaux peu enclins à coopérer avec un pouvoir
perçu par une partie de la population comme étant "à la
botte des Etats Unis".
Le deuxième homme du gouvernement, le ministre de la défense,
n’est autre que le commandant Fahim, ex-bras droit de Massoud. On se
demande, dans ces conditions, comment le processus de désarmement peut être
mené de manière équitable. Les combats entre Atta (Jamiat)
et Dostom (Jumbesh) pour le contrôle de la région nord (autour
de Mazar el Sharif) ont repris de plus belle et rien ne laisse présager
que les deux hommes trouvent un terrain d’entente dans le court terme.
L’assassinat récent par les Talibans d’une jeune employée
du HCR dans la province de Ghazni et leur remontée en force dans les
provinces de Khost et de Zabul (où ils contrôlent à présent
6 districts sur 7) sont autant de signes remettant en cause les perspectives
d’une paix durable dans le pays.
Le début de la Loya Jirga, le 10 décembre, assemblée rassemblant
les commandeurs des provinces pour voter une nouvelle constitution -par ailleurs
fort controversée- et décider du début des éléctions
générales, a été accompagné d’appels
au boycott par les Talibans. Un tiers du territoire n’est plus accessible
aux ONG, et les UN ont déjà commencé à rapatrier
une partie de leur personnel. Or, le départ des humanitaires représente
déjà une "petite victoire" pour les opposants au régime,
qui y voient là une fantastique opportunité de récupérer
les mécontentements. Alors, parler d’Afghanistan "libéré" ?
Oui, mais pour combien de temps encore...
(décembre
2004)
|