BEEDIE'S
STORY
Depuis environ un siècle,
les beedies font partie du quotidien en Inde.
Ces petites cigarettes à l’allure
caractéristique étaient, jusqu’à
un passé récent, extrêmement
populaires parmi les classes défavorisées.
L’industrie
du beedi emploie, aujourd’hui encore, dans
le sous-continent indien, plus de 5 millions de
personnes. Dans le Kerala, la ville côtière
de Cannanore est le fief de la marque Sadhoo.
En plus des ouvriers qui travaillent à
la manufacture, l’entreprise contrôle
plusieurs milliers de salariés à
domicile. Séchage, empaquetage, collage,
contrôle de qualité, le travail reste
entièrement artisanal afin de préserver
l’emploi local, réduire les coûts
de production et résister à la concurrence
des cigarettes blondes occidentales.
Histoire
de famille
ll
y une soixantaine d’années, les Vinod
créaient à Cannanore (Etat du Kerala
dans le sud-est de l’Inde) un petit atelier
de beedies. Cigarette du pauvre, le beedi se compose
d’une petite feuille de tendu, un arbre
de la famille de l’eucalyptus, qui contient
quelques grammes de tabac. Selon la légende
familiale, le nom de la marque ainsi que son logo
seraient directement liés à la venue
d’un sage :"Sadhoo" qui aurait
demandé l’hospitalité au grand-père
Vinod. Après son départ, les bénéfices
de la petite entreprise seraient subitement montés
en flèche, assurant à tous bonheur
et prospérité. En souvenir de l’homme
providentiel, la fabrique fut tout naturellement
baptisée Sadhoo.
De nos jours,
la manufacture fait appel à environ 180
personnes. La grande force de l’entreprise
réside dans les quelques milliers de salariés,
répartis chez des petits fabricants à
domicile. Installés au premier étage
sous un balcon couvert, ils commencent par sélectionner
et découper les feuilles, qui proviennent
généralement de la région
montagneuse et limitrophe du Karnataka. Il faut
ensuite saupoudrer l’écorce végétale
de tabac, rouler les beedies en cornet et faire
preuve d’un rapide coup de main pour les
lier, une à une, avec un fil de couleur.
L’usine
de Cannanore reste exclusivement artisanale afin
de préserver le plein emploi et limiter
les taxes sur les machines. C’est ce que
l’on appelle en Inde le système du
“cottage industrie”.
Taylorisme
à l'indienne
Depuis toujours, les dirigeants
de la marque ont imposé une stricte organisation
de travail. Si la chaîne de production demeure
artisanale, chacun doit accomplir sa tâche
et respecter son rôle dans le temps qui
lui a été imparti. Les beedies arrivent
des ateliers emballés dans du papier journal.
Les ouvriers et les ouvrières du rez-de-chaussée
s’occupent de les trier et de les soumettre
à un premier contrôle de qualité.
Les cigarettes sont ensuite emportées sur
de grands plateaux
© EKWO |
DOSSIER
ENVIRONNEMENT & PHENOMENES
Pour
Imprimer DD
Reportage en Inde, texte de David
RAYNAL
Photos © David RAYNAL
rectangulaires
dans un four, afin qu’elles sèchent
et libèrent leur arôme. Ce n’est
que huit heures
plus tard, que les hommes du premier étage
récupèrent la marchandise pour le
contrôle de qualité définitif,
l’empaquetage et le conditionnement.
Assis en tailleur,
les ouvriers entament une course contre la montre.
Dans une atmosphère moite, aux parfums
de tabac, de sueur et de fibre de coco mélangés,
les hommes plient à une vitesse vertigineuse
les sachets qui contiennent les beedies. Avec
l’expérience, ils sont capables d’atteindre
les “900 sachets à l’heure
!” Plus loin, d’autres personnes conditionnent
les sachets dans des boites de cent, puis dans
des cartons de mille, à la manière
de poupées gigognes. Les doigts englués
de poudre de tapioca, ils fixent à l’aide
de cette colle naturelle les étiquettes
de la marque.
Savoir
vivre menacé
Dans ce métier, le savoir
faire est important et se transmet de père
en fils. L’entretien d’embauche porte
sur la rapidité de l’ouvrier à
rouler les cigarettes. Un seul kilo de tabac doit
fournir environ 3500 beedies. Depuis
quelques années, la tendance est à
la féminisation de la profession en raison
du développement du travail à domicile,
le “home work system”. Mais cette
petite cigarette à la mine sympathique
est aujourd’hui menacée. D’abord,
l’Etat a donné de nouvelles concessions
à de petits fabricants de cigarettes blondes
qui sont, à l’heure actuelle, presque
aussi chères que les traditionnelles beedies.
D’autres mesures gouvernementales comme
la taxation de 50 % sur chaque paquet, ou l’interdiction
de la publicité sur le tabac à la
télévision, de la consommation dans
les lieux publics et les bureaux, pourraient bien
avoir raison des beedies qui s’avèrent,
somme toute, beaucoup moins nocives que leurs
consœurs Yankees.
Au Kerala, la
durée légale journalière
du travail a été réduite
à huit heures dans l’industrie et
les ouvriers de Cannanore sont parmi les mieux
payés du pays (environ 60 roupies par jour,
soit 2 à 3 €). Une situation qui ne
rend pas cette entreprise très concurrentielle
comparée aux autres fabriques de l’Andra
Pradesh ou du Bihar qui disposent d’une
législation sociale plus souple. Pour éviter
que le beedie et son savoir faire ne disparaissent
de la région, la firme Sadhoo engage de
grandes campagnes de publicité partout
dans le monde, et a diversifié son activité
avec une ligne textile. Dernièrement, des
investisseurs français s’étaient
intéressés au produit pour le marché
des pays de l’Est. Mais ce n’est pas
encore demain la veille que l’on verra les
clients d’un PMU de quartier le beedie au
bec !
Site Internet : www.sadhoo.com
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