L'arbre
qui cache le forfait
35 ans d'exploitation
forestière, des revenus considérables
et des populations toujours plongées dans
le dénuement le plus total. Le Cameroun
est un pays riche où vivent des gens pauvres.
Tout en mettant en péril l’écosystème,
l'avidité d'une poignée de puissants
s'y érige en véritable obstacle
au développement...
Situé en plein cœur
de la riche zone forestière du bassin du
Congo, le Cameroun connaît aujourd’hui
une intense surexploitation de ses ressources
en bois, aggravée par un contexte d’opacité
totale sur les méthodes de travail de nombreuses
compagnies, nationales ou étrangères.
L’essentiel du bois abattu n’est pas
destiné au marché intérieur,
mais à l’exportation. On l’y
commercialise ensuite sous forme de lattes de
parquet, portes, fenêtres ou mobilier de
jardin, des produits particulièrement appréciés
par les consommateurs car ils sont souvent proposés
à des prix défiant toute concurrence.
Mais ce bon marché coûte cher aux
pays producteurs. Populations locales et environnement
payent la facture d’une production «
low cost » qui ne s’embarrasse guère
d’éthique. On estime ainsi que près
de 50% de l’exploitation forestière
du Cameroun peut être considérée
comme illégale (Source : Les
Amis de la Terre « Guide du consommateur
de bois »). Abattage
sauvage et absence de reboisement transforment
chaque année de nouvelles portions de la
forêt originelle en zones quasi-stériles,
où ne poussent plus qu'un petit nombre
d'essences. Déjà durement touchées
par le braconnage, de nombreuses espèces
animales, dont certaines comme le gorille de plaine
ou l’éléphant sont déjà
menacées d’extinction, voient disparaître
leur habitat naturel.
L’Union
Européenne représente un tiers des
importations mondiales de bois tropical.
Opacité
Autres victimes
du déboisement, les populations locales
assistent, impuissantes, à la destruction
d’un environnement dont elles tiraient de
nombreuses ressources. Loin de contribuer à
réduire la pauvreté, 35 ans d’exploitation
forestière ont laissé les campagnes
camerounaises dans la misère. Pourtant,
l’industrie du bois rapporte de l’argent,
beaucoup d’argent. Les compagnies forestières
versent chaque année des millions d’euros
pour avoir le droit d’exploiter leurs parcelles
de forêt. Cette taxe, que l’on appelle
RFA (Redevance Forestière Annuelle) devrait
théoriquement servir à financer
le développement du pays. En effet, 40%
des sommes récoltées sont supposées
revenir aux municipalités et 10% directement
aux villages concernées par les zones de
coupe. Hélas, au vu de la misère
qui règne dans les régions forestières,
on est en droit de se demander où passe
cet argent. Si quelques infrastructures se construisent
çà et là dans les villes,
ces dernières demeurent malgré tout
dans un état de sous-développement
inexplicable en regard des sommes considérables
qu’elles devraient toucher. Difficile, par
exemple, de ne pas se demander où finissent
les fonds qui devraient servir à la construction
de dispensaires ou d’écoles dans
la commune de Yokadouma. Cette ville, proche de
la frontière centrafricaine, est particulièrement
représentative de l’opacité
qui entoure l’utilisation de la RFA. Le
budget municipal annuel s’y élève
à plus d’un milliard de francs CFA,
(1.6 million d’euros). C’est la ville
la plus « riche » du pays, après
la capitale Yaoundé. Et pourtant, les habitants
y attendent toujours la construction d’infrastructures
de base, la réparation des routes ou l’arrivée
de la fée électricité dans
les quartiers les plus pauvres. La misère
est encore plus criante dans les zones rurales.
Pour toute manne, les petits villages en torchis
qui bordent les routes ne semblent récolter
que les torrents de boue rouge dont les grumiers,
ces énormes camions qui servent au transport
des troncs, les aspergent au passage.
Les
pygmées vivaient de chasse et de cueillette
dans une forêt dont on leur fait aujourd'hui
abattre les arbres pour quelques francs CFA…
L'exploitation du bois attire
d'innombrables ouvriers qui viennent s'entasser
dans des villages de fortune, aux abords
des zones de coupe. Souvent éloignés
de leur famille, ils fréquentent
alors le "Temple d'Amour" local,
contribuant à l'explosion du taux
de séropositivité dans ces
régions.
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Comble
du cynisme, lorsque la déforestation d’une
zone devient trop évidente, les exploitants
en accusent les Bakas. Pour leur usage domestique,
ces derniers ne font pourtant que ramasser le
bois mort. Laissés pour compte du développement,
ils vivent toujours dans un dénuement absolu.
Le
vrai prix de ce banc ne se lit pas sur l'étiquette
…
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Comment sauver le
Moabi ?
Pour en savoir plus, vous pouvez visiter le
site internet des Amis de la Terre www.amisdelaterre.org,
consulter la brochure « Moabi, Arbre
de Vie ou de profit ?» ou téléphoner
au 01 48 51 32 22 pour la recevoir. |
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DOSSIER
ENVIRONNEMENT & PHENOMENES
Texte
et photos : Sarah Portnoi
Deux Moabis ont été abattus dans
une forêt communautaire. Les villageois
Bakas qui les ont coupé toucheront 35 000
francs CFA le m3 (56 €) pour un bois qui
en vaut au bas mot 150 000 (240 €). Cet abattage
était illégal et les habitants risquent
une amende, mais la compagnie forestière
qui leur a acheté les arbres ne sera pas
inquiétée.
Les forêts communautaires
La législation
camerounaise autorise depuis 1994 les populations
locales à faire valoir leur droit d’usufruit
sur les terrains qu’elles occupent depuis
toujours en demandant l’attribution
d’une forêt communautaire. Même
si cette démarche reste longue et complexe,
notamment du fait des pesanteurs du système
administratif camerounais, elle constitue
une alternative intéressante à
l’exploitation classique. Les arbres
doivent être abattus de façon
artisanale et dans une optique durable, la
priorité est donnée à
l’embauche de villageois locaux. Enfin,
des ONG supervisent le processus et aident
les communautés à trouver des
débouchés leur garantissant
une source de revenus fiable et pérenne,
marchés sont bénéficient
aussi leurs autres productions traditionnelles
(manioc, ananas...)
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A partir des graines du Moabi, arbre sacré
et nourricier, les villageois produisent une huile
servant aussi bien à la cuisine qu’aux
soins du corps. Elle se vend jusqu'à 1500
francs CFA (2,50 euros) le litre sur le marché
de Yaoundé. Mais il faut près de
300 ans au Moabi pour commencer à fructifier.
L'abattage d'un tel arbre est donc une perte irréparable
pour un village.
L'ouverture
de pistes forestières pour l'exploitation
du bois et le chômage qui sévit
dans les zones surexploitées entraînent
le développement du braconnage.
Sur les marchés, derrière
l'appellation générique de
"viande de brousse",
on vend nombre d'espèces menacées,
comme le gorille ou l'éléphant.
Heureusement certains trouvent refuge dans
des réserves, comme le parc de Mfou,
près de Yaoundé, qui recueille
les orphelins du braconnage ou les animaux
blessés lors de l'abattage des arbres.
Ici, de multiples espèces de singes
cohabitent pacifiquement, en semi-liberté. |
Le cas Baka…
Enfin, tout en
bas de l’échelle sociale, n’imaginant
sans doute même pas la valeur marchande
des arbres sous lesquels ils vivent, les pygmées
Baka sont les grands perdants de cette loterie
truquée du développement. Méprisés
depuis la nuit des temps par les Bantous, l’ethnie
dominante du pays, les pygmées trouvaient
jusqu’alors refuge dans les bois, vivant
de chasse et de cueillette. Ils se soignaient
grâce à leur connaissance ancestrale
des plantes. Aujourd’hui, leur forêt
est transpercée de routes et leurs arbres
sacrés sont convoités par les exploitants
forestiers. Leur mode de vie nomade constitue
un argument bien pratique pour justifier la totale
absence d’investissements consacrés
au développent de leurs villages. Pire
encore, les pygmées sont instrumentalisés
par des compagnies forestières sans scrupules
qui profitent de leur méconnaissance de
la réglementation pour les utiliser comme
bouclier face aux autorités. En échange
de sommes dérisoires, certains exploitants
envoient ainsi des Bakas abattre des arbres en
toute illégalité, et s’exposer
à leur place aux punitions prévues
par la loi. Les Bantous profitent aussi allègrement
du faible niveau d'éducation des pygmées
pour s'approprier leurs champs, quand ils «
n'épousent » pas leurs toutes jeunes
filles. Le plus triste est sans doute de constater
la résignation des intéressés
devant ces injustices quotidiennes, sans doute
fruit de plusieurs siècles de quasi-esclavage.
Pourtant, aujourd’hui encore, les Bantous
font appel aux talents de guérisseurs des
Bakas car ils hésitent toujours à
se fier à la médecine occidentale
moderne. Ils reconnaissent aussi leurs qualités
de guide. S’ils rechignent à les
suivre en forêt, c’est parce qu’ils
les croient capables de se changer en mouches
pour les abandonner là, perdus au milieu
des bois... Mais l’aura de superstition
qui les entoure ne suffit pas à sauver
les pygmées. La réalité du
peuple Baka, en 2006, c'est une existence de misère
dans des huttes de branchages, comme figés
à l'âge de pierre, et une espérance
de vie qui ne dépasse guère les
40 ans.
Le sort de cette ethnie fragile, ainsi que ceux
de la flore et de la faune camerounaises, dépendent
d’une réelle volonté politique
d’imposer une gestion durable des ressources
forestières du pays. Et tant que le consommateur
occidental continuera de fermer les yeux, par
ignorance ou par commodité, sur l’origine
éthiquement discutable des produits exotiques
qu’il achète, cette volonté
risque fort de rester un vœu pieux…
"Et nous, on peut faire
quoi ?"
Sans aller jusqu'à
jouer les Don Quichotte et partir se battre
contre les tronçonneuses illégales,
il est possible d'agir depuis l'Europe.
En tant qu'acheteurs de la plupart des
produits élaborés à
partir de bois tropicaux, nous devons
être particulièrement vigilants
sur leur origine. Il existe des certifications,
comme le Label FSC (Forest
Stewardship Council), qui attestent
de la provenance d'une forêt correctement
gérée. Les
exiger est un minimum. Mais comme il est
extrêmement difficile de s'assurer
des conditions réelles d'exploitation
sur le terrain, privilégier les
bois locaux, comme le chêne, le
hêtre ou le pin, constitue une alternative
vraiment responsable et durable. Il faut
apprendre à résister aux
puissants arguments commerciaux qui mettent
en valeur la séduction de ces essences
originales par leur couleur et leur toucher,
surtout lorsque la mention sur l'étiquette
ne reflète pas leur vrai prix…
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