Un
chamane
au parfum
Cheveux
ébène, teint cuivré, jean-polo,
Francisco Montes ne se distingue pas, en apparence,
d’un péruvien ordinaire. Pourtant,
il est l’un des derniers chamanes d’Amazonie.
De conférences en expositions, il raconte
son histoire, celle de son peuple aujourd’hui
menacé d’extinction. Il évoque
l’aventure de sa reconversion, de son adaptation
aux nouvelles réalités. Au Pérou,
Francisco est « Shamourinqui Yachipiari
», l’ange du parfum, qui soigne, protège,
et enseigne.
C’est au
Pérou, sur les berges de l’Uyacali,
que Francisco a grandi, au cœur de l’ethnie
des Capanuhas. Son enfance est rythmée
par la pêche, la chasse et la culture. Son
chef traditionnel, le Curaca orchestre la vie
du village. Ici, les règles communautaires
s’appuient sur des principes de respect
de l’autre, de la nature. Il n’y a
pas d’école, l’éducation
se transmet des grands-parents aux petits-enfants.
Nous sommes dans les années 50, la déforestation
n’a pas véritablement commencé.
Ce que Francisco
connaît aujourd’hui, il le doit à
Trinidad sa grand-mère, une Chamane banco,
niveau supérieur dans la hiérarchie
des chamanes, réputée de part et
d’autre du fleuve Amazone. « Chez
les Capanuhas, on ne choisit pas sa destinée,
confie Francisco, ma grand-mère avait décidé
que je serai chamane curandero, celui qui soigne,
c’est ce que je suis devenu ». L’éducation
débute très tôt, dès
l’âge de six ans. Sa grand-mère
et son oncle Maximilien s’en chargent. Tout
est long, prend du temps. « Il faut observer,
écouter, recevoir pour transmettre, raconte
Francisco. C’est le credo des chamanes,
leur ligne de conduite ». L’apprentissage
n’a rien à voir avec les méthodes
occidentales car « ce sont les plantes elles-mêmes
qui nous enseignent les remèdes nécessaires,
comment les utiliser ». Francisco ira à
la rencontre des Anciens, observera, s’isolera
pendant de longues périodes dans la forêt,
apprendra à jeûner… Et deviendra,
vingt-cinq ans plus tard, au terme de cette initiation
chamanique, un maestro-curandero, un guérisseur
traditionnel.
Aujourd’hui,
l’ethnie de Francisco s’éteint
peu à peu. Seuls deux villages
Capanuhas subsistent dans toute l’Amazonie. |
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Soigner
plantes et patients
Sitôt curandero, Francisco
arpente le bassin amazonien. Il vit de petits
métiers, exerce ici et là ses talents
de guérisseur. Depuis les premiers jours
de son initiation, une idée le poursuit
: « rendre aux plantes ce qu’elles
lui ont donné ». Une opportunité
que Francisco saisit lorsque l’une de ses
parentes met en vente un terrain en plein cœur
de la forêt. Sur une trentaine d’hectares,
il se met à faire pousser toutes sortes
de plantes et d’arbres aux vertus médicinales.
Il lui faudra une dizaine d’années
pour parfaire son jardin et accueillir plus d’un
millier de plantes disponibles pour un usage traditionnel.
En bordure du terrain, Francisco aménage
un dispensaire, simple abri d’accueil au
début, d’hébergement et de
soins par la suite. Francisco souhaite désormais
transmettre.
SUITE
© EKWO
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DOSSIER ENVIRONNEMENT
& PHENOMENES
Pour
Imprimer DD
Texte Hélène Binet
Un
blanc chez les indiens
De l’autre
côté de l’Atlantique, Corinne
Arnould, une jeune française, se lance
dans une aventure unique. Après dix années
passées dans le marketing, elle décide
de tout quitter.Vol sec pour l’Amérique
du sud. Corinne s’immerge pendant plusieurs
années au sein de communautés indiennes
du Pérou et de l’Equateur pour comprendre
la vie de ces peuple.
« De 1999
à 2001, j’ai vécu au cœur
des tribus indiennes. J’ai commencé
par me retrouver chez les indiens Siona-Sequoya
en Equateur. Puis je suis allée au Pérou
où j’ai rencontré mon premier
chamane. Plus tard, j’ai connu Francisco,
découvert ses projets, apprécié
sa capacité à réagir, à
s’adapter, à muter… Cette expérience
a été un choc. Là, j’ai
pris conscience des enjeux auxquels étaient
confrontées les populations. A mon retour
j’ai décidé de les aider à
protéger leur milieu de vie, la forêt
amazonienne, et à préserver leur
identité culturelle ». De retour
en France, la jeune femme réunit anthropologues,
botanistes, spécialistes de l’Amazonie
et créé l’association Paroles
de Nature. L’objectif ? Apporter des financements
aux peuples autochtones pour réaliser leurs
projets de développement locaux. «
Nous ne voulons pas nous substituer aux acteurs
locaux. Les connaissances des chamanes sur les
plantes et leurs qualités pédagogiques
leur donnent une réelle crédibilité
auprès des populations. Paroles de nature
les aide à acheter des terres et à
construire des maisons d’accueil pour les
populations. Notre souhait est que les chamanes
disposent de lieux tampons où pratiquer
leur art et le transmettre aux jeunes générations
».
Quand
j’avais quatre ou cinq ans,
on commençait à voir
arriver
les premiers Blancs venus exploiter
le cèdre. Nous étions
leurs employés. Et puis tout
est allé très vite. |
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Les
Jardins du savoir
Retour en Amazonie. Les années
ont passé. Avec ses trente hectares de
plantes médicinales, Francisco possède
maintenant une gigantesque pharmacie à
portée de main. Chaque semaine, les patients
se pressent de plus en plus nombreux pour le rencontrer
et se faire soigner. Mais très vite, Francisco
donne une nouvelle dimension à son projet.
Il crée les « Jardins du savoir ».
Son terrain devient alors un lieu vivant non seulement
dédié à la protection des
plantes médicinales mais également
tourné vers la pédagogie et la transmission
des pratiques ancestrales. Les jardins accueillent
enfants et adultes. Grâce aux fonds recueillis
par l’association Paroles de Nature, Francisco
pourra également bâtir une école.
Lorsqu’il parle de cette aventure, Francisco
s’illumine. « Ce projet est celui
dont je suis le plus fier. L’école
accueille plusieurs fois par semaine les enfants
des villages voisins. Ils apprennent à
reconnaître les plantes et découvrent
leurs légendes. Je leur enseigne comment
soigner les petits bobos quotidiens. Je leur raconte
des histoires, les emmène dans la forêt
pour chercher des plantes et les étudier
».
Aujourd’hui
les Jardins du savoir de Francisco ont fait des
émules. L’expérience est devenue
une véritable référence.
Plusieurs chamanes ont engagé la même
démarche, conscients qu’ils ne pourraient
plus exercer leur art dans les mêmes conditions
qu’autrefois. Ainsi, ici et là au
cœur de la forêt, des bouts de biodiversité
amazonienne sont aménagés et préservés.
Francisco a gagné.
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