Pollution
atmosphérique & biosurveillance
Simple, efficace et peu
onéreuse, la
biosurveillance de la pollution
atmosphérique
est de plus en plus utilisée en complément
des mesures physiques et chimiques de la qualité
de l’Air.
Son principe : évaluer les effets des polluants
sur les êtres vivant à partir des
végétaux. Mousses, lichens, peupliers,
choux, tabacs, glaïeuls et pétunias
témoignent de l’air du temps…
Du premier cri au dernier souffle,
l’air est le seul
« produit » dont nous ne puissions
nous passer plus d’une minute (4 minutes
pour un champion d’apnée). C’est
également celui dont nous consommons les
plus grandes quantités, en volume et en
poids. Au rythme de nos activités quotidiennes,
hors jogging, vélo ou métier physique,
12 000 à 15 000 litres d’air transitent
et se transforment dans nos poumons.
Tout être humain absorbe de 15 à
18 kg d’air et rejette la même quantité
de gaz carbonique en 24 h.
« Chacun de nous a le droit de respirer
un air qui ne nuise pas à sa santé
» affirme la Loi sur l’Air et l’Utilisation
rationnelle de l’Énergie (LAURE,
1996). Dix ans plus tard, quoique de vrais progrès
aient été accomplis, ce droit n’est
pas garanti et encore moins gratuit (voir encadré
1 et 7). L’indice de la qualité de
l’air publié chaque jour repose sur
quatre polluants : le dioxyde d’azote, l’ozone,
le dioxyde de soufre et les particules. La liste
des substances nuisibles à la santé
comprend aussi les Composés organiques
volatils (COV), les polluants organiques persistants
(POP) les hydrocarbures aromatiques polycycliques
(HAP), les dioxines, les biocides (herbicides
et pesticides) et tant d’autres. Malheureusement,
en dehors de nos narines pileuses qui retiennent
quelques particules, la nature n’a pas prévu
de tri sélectif à l’entrée
de nos voies respiratoires. Organiques, minéraux,
gazeux ou solides, les polluants pénètrent
notre organisme avec l’oxygène qu’il
nous faut inspirer pour nettoyer le sang et renouveler
notre énergie. Quels sont leurs effets
à long terme sur les êtres vivants
? Pouvons-nous les éliminer ? et si nous
en parlions avec nos pétunias ?
«
Il faut que tu respires »
Comme vous, moi ou Mickey 3 D, les plantes respirent
nuit et jour à l’aide de leurs stomates,
minuscules ouvertures qui parsèment leurs
feuilles. Mais le jour, elles puisent dans l’air
l’essentiel de leur alimentation sous forme
de gaz carbonique. Dès le printemps, celui-ci
devient feuilles, fruits, tiges, tronc, racines
selon le plan prévu par le génome
de la plante. Pour réaliser cette prouesse,
les végétaux utilisent l’énergie
lumineuse et l’eau dont elles exploitent
l’hydrogène et libèrent l’oxygène.
C’est la photosynthèse. La composition
de l’air que nous respirons dépend
entièrement de l’activité
des végétaux qui fixent le gaz carbonique
et injectent chaque jour, l’oxygène
nécessaire à tous (cf encadré
2). Or, depuis deux siècles, nous ne cessons
de relâcher des millions de tonnes de gaz
carbonique en brûlant les restes des forêts
carbonifères sous forme de charbon, de
pétrole ou de gaz. Par ailleurs la déforestation
se poursuit dans les régions tropicales
ce qui tend à réduire la production
globale d’oxygène.
À l’échelle
planétaire, l’air contient aujourd’hui
plus de gaz carbonique que les végétaux
et les océans n’en peuvent absorber.
En cinquante ans, sa concentration dans l’atmosphère
s’est élevé de 20% et la situation
ne peut qu’empirer. L’effet de serres’intensifie.
La terre entre à nouveau en surchauffe
(cf. encadré 3). De nombreuses plantes
ont commencé leur migration vers le Nord.
Le chêne vert remplace peu à peu
le hêtre dans les régions tempérées.
Les agrumes partent à l’assaut de
la botte italienne. En France, l’époque
des vendanges a été avancée
de trois semaines depuis 1945. Toutes ces indications
démontrent l’importance des informations
que nous apporte la surveillance des plantes.
À cela s’ajoute l’impact des
innombrables polluants nés des technologies
récentes.
Les végétaux dépendent essentiellement
de l’air du temps et vivent enracinés
dans le sol. Ils sont les premiers exposés
à ces cocktails inconnus. Certaines essences
y trouvent des aubaines. D’autres s’adaptent.
Beaucoup ne résistent pas. Les premières
victimes de la pollution par l’ozone sont
évidemment les grandes cultures industrielles
qui n’ont aucune défense autonome.
Mais la biodiversité sauvage est également
mise à mal en un moment de changement global
où elle nous est plus que jamais indispensable.
Plongée
dans l’usine à gaz
2500 capteurs de mesures
automatiques répartis dans 700 stations
quadrillent le territoire. Pilotés
par 38 associations agréées
de surveillance de la qualité de
l’air (AASQA), ces capteurs dosent
en continu la composition de l’air,
polluant par polluant. En Ile-de-France,
pas moins de 16 000 mesures sont compilées
tous les quarts d’heure par la seule
association Airparif. Fédérées
dans le réseau ATMO qui calcule scrupuleusement
les indices quotidiens, les AASCA analysent
les phénomènes, établissent
des statistiques, en réfèrent
à l’ADEME et mettent leurs
données « à la disposition
de la société ». Budget
de l’ATMO en 2005 : 44 millions d’euros.
(MEDD, juin 2005) 1
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L’autre
langage des fleurs
La biosurveillance est devenu une véritable
technique de terrain autour des années
1960 dans les pays industrialisés du nord
de l’Europe. Avec le dépérissement
des forêts, de vastes réseaux d’observation
des arbres et des lichens sesont
déployés à partir des zones
industrielles à l’échelle
régionale, nationale, puis transfrontalière.
Les premiers polluants ciblés furent les
dioxydes de soufre et d’azote et les particules
de plomb émises par la pétrochimie.
SUITE
© EKWO
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DOSSIER
ENVIRONNEMENT & PHENOMENES
Texte : Marie Hellouin
Un
peu d’oxygène
Dans l’atmosphère
primordiale, l’oxygène n’existait
pas à l’état pur. Il était
piégé avec l’hydrogène
dans la molécule d’eau (H2O).
Seule une puissante réaction chimique
pouvait les séparer. Il y a 3 milliards
d’années, une minuscule algue
bleue capable de réaliser la photosynthèse
est apparue. La pullulation de cette algue
a libéré d’immenses quantités
d’oxygène (O2). Celui-ci a oxydé
toutes les substances toxiques qui passaient
à sa portée avant de s’accumuler
dans l’atmosphère. Plus haut,
il a pu s’adjoindre un troisième
atome en absorbant les rayonnements ultraviolets
(O3).
Ainsi s’est formée la couche
d’ozone. Et la vie a pu sortir des océans.
2
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Mais curieusement, on se souciait
davantage de l’acidité des pluies
que de la qualité de l’air que l’on
respirait. En fait de santé humaine, les
médias s’étonnaient surtout
des trous causés par l’eau du ciel
dans les vêtements des travailleurs des
pays de l’Est. À l’Ouest, il
a fallu près de quarante ans d'expertises
et des négociations pour édicter
des Directives Européennes acceptées
par tous les pays.
On lui doit la désulfuration des hydrocarbures,
l’essence sans plomb et la recherche de
véhicules automobiles moins gourmands en
carburant.
la
Loi sur l’Air a vu le jour en 1996, quarante
ans s’étaient écoulés
depuis les premières alertes végétales.
Entre temps, de nouveaux problèmes
avaient surgi. Dès les années 1990,
avec l’augmentation du trafic routier, les
États du sud de l’Europe ont commencé
à souffrir des concentrations d’ozone.
La biosurveillance s’était enrichie
des avancées de toutes les technologies
de pointe, notamment la biologie moléculaire,
tout en restant une technique, simple et modulable.
Des stations de plantes sélectionnées
ont été installées le long
des axes les plus fréquentés. Aujourd’hui,
ce mode de surveillance ne remplace pas les mesures
physiques et chimiques relevées dans l’atmosphère.
Il apporte des informations différentes
sur la quantité et la nature des polluants
auxquels sont réellement exposés
les êtres vivants. Il permet d’en
constater les effets à l’échelle
génétique, moléculaire ou
cellulaire, d’en mesurer les conséquences
sur les tissus, la photosynthèse, la croissance
et le cycle de vie des plantes comme sur la composition
des écosystèmes ou les pollutions
de fond à l’échelle d’un
continent. Au plan local, certaines plantes à
fleurs comme les pétunias, les glaïeuls
ou les tabacs détectent des polluants précis.
D’autres comme le choux fourragé
sont un catalogue vivant de toutes les substances
qu’elles accumulent sur la cuticule, une
pellicule cireuse qui recouvre leur feuille. Outre
les substances réglementées, on
y découvre des pollutions « accidentelles
», des composés chimiques non recherchés
par les capteurs automatiques du réseau
ATMO (voir encadré 1). Les végétaux
accumulateurs révèlent aussi la
présence de micropolluants hyper toxiques,
même à dose infinitésimale.
Ces redoutables composés sont aussi indétectables
dans l’air que les produits de dernière
génération dans les contrôles
antidopage.
Enfin les mesures végétales permettent
aussi d’évaluer rapidement les effets
des politiques publiques dans le domaine des transports,
de la réduction des émissions ou
des économies d’énergie. Les
mesures physico-chimiques et la biosurveillance
sont deux approches complémentaires de
la pollution atmosphérique. Les premières
sont obligatoires, les secondes facultatives.
Pourtant les décideurs sont de plus en
plus nombreux à s’y soumettre volontairement.
La Société des Autoroutes Paris
Normandie a procédé à une
étude sur les lichens pour un tracé
de 4 km à travers un vallon classé
d’intérêt floristique et faunistique.
« Nous aurions pu nous contenter des mesures
réglementaires, mais seule la biodétection
pouvait nous apporter une vision à moyen
et long terme des réactions des plantes
à ce changement environnemental »
explique Sophie Marty Leridant, responsable du
Développement Durable.
Le
chou fourrager accumule sur la cuticule cireuse
des HAP et des COV aux effets invisibles, hors
analyse chimique.
APPANANPC
En action
Selon les informations que l’on recherche,
la biosurveillance, ou biodétection, peut
se baser sur des espèces choisies, implantées
sur des sites précis. Il s’agit alors
d’une surveillance active. Cette approche
est très pratique en ville où la
diversité végétale est assez
limitée. Les pétunias,
détecteurs d’hydrocarbures, les tabacs
détecteurs de l’ozone sont de précieux
indicateurs de pollutions urbaines. Une organisation
simple permet d’associer les citoyens. Les
chercheurs ont mis au point des biostations en
kit, faciles à disposer dans des endroits
fréquentés, collèges, parcs
ou jardins à l’abris du vandalisme.
Grâce aux plantes, on peut allier recherche
et communication pour sensibiliser les enfants
et le grand public. Le tabac se prête parfaitement
à la démonstration. La bio station
n’est rien d’autre qu’un bac
à fleur muni d’une réserve
d’eau et protégée par une
toile d’ombrage. On y a fait lever deux
variétés de tabac, l’une très
sensible à l’ozone, l’autre,
archi résistante. Ce témoin servira
à déceler tout stress accidentel
qui puisse altérer l’étude
: attaque de parasites, champignon etc…
Des mini panneaux explicatifs sont piqués
près des plantes. Dans le Nord, entre mai
et octobre, l’Association pour la Prévention
des Pollutions Atmosphériques dispose d’une
cinquantaine de biostations relevées chaque
semaine. Le public peut s’informer et participer.
L’effet est spectaculaire.
Sur les plantes sensibles, l’ozone provoque
des taches et des nécroses proportionnelles
aux concentrations d’ozone auxquelles elles
ont été exposées.
Les feuilles malades sont comparées une
à une à des photos de référence.
Les résultats sont traités informatiquement
et les données transmises aux autorités
locales. Lancée dans les collèges
et lycées d’Ile-de-France, l’opération
joliment nommée « un bon plant pour
l’air » a été relayée
en Bretagne, Bouches du Rhône, Languedoc-Roussillon,
Midi-Pyrénées. SUITE
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