Le
« bon » prétexte de
l’écotourisme
Une anthropologue québécoise
est impliquée depuis 20 ans dans de petits
projets de tourisme communautaire, dans l’Etat
de Veracruz, au Mexique. Aujourd’hui la
Red Ecoturismo Campesino de Los Tuxtlas, a déjà
gagné plusieurs paris, dont celui de l’éducation.
« On attend
les touristes maintenant » explique Luis
Ramos Sedano, paysan et guide dans le projet touristique
communautaire de Miguel Hidalgo. Devant la cascade
de 55 mètres de haut, en pleine forêt
tropicale et au cœur des volcans de Los Tuxtlas
dans l’Etat de Veracruz, Luis raconte, «
nous avons compris la nécessité
de préserver notre forêt, pour nous
mais aussi pour l’atmosphère. Mais
nous devons recevoir des compensations car si
demain mes enfants ont faim, je vais retourner
travailler en forêt ». Le ton est
serein mais ferme et résume bien la fragilité
d’une politique de protection, menée
pourtant avec la population, pour stopper un processus
grave de destruction environnementale. L’
écotourisme contre le bétail ? L’artisanat
plutôt que la coupe du bois ? Une partie
de la population est d’accord, reste à
convaincre un client qui pour l’instant
pose toujours ses valises dans la station Cancun
ou au cœur de la splendeur du Chiapas, quand
il aborde le Mexique.
Au sud du Rio Bravo, l’écotourisme
a accompagné les vagues d’immigration
vers les Etats-Unis. Au nord dans les années
80, les projets avec les vagues, se multiplient
plus au sud de Veracruz au Chiapas. Mais dans
tout le pays, cette activité censé
freiner la dégradation sociale des campagnes,
est née d’une donnée écologique
« On ne peut pas dire aux gens ne chassez
plus, ne coupez plus de bois et ne partez pas
aux Etats-Unis. Par contre on peut suggérer
de ne pas chasser ce singe si un touriste veut
le voir et est prêt à payer pour
cela » explique Guadalupe Lopez, biologiste
à l’Institut d’écologie
de Xalapa. Pour l’anthropologue québécoise
Luisa Paré, l’écotourisme
est « une stratégie pour protéger
les ressources naturelles, en impliquant des revenus
pour la population. Mais ce n’est pas le
cas de toutes les structures qui se désignent
en écotourisme » (Voir l’encadré
« vrai et faux »).
Entre
les 300 cônes volcaniques de Los Tuxtlas,
au sud de Veracruz, Luisa Paré et son équipe
de l’Institut de recherches sociales de
l’UNAM (Université de Mexico) ont
travaillé pendant près de vingt
ans à la création d’un réseau
de tourisme communautaire, la RECT (Red Ecoturismo
Campesino de Los Tuxtlas), au sein de la réserve
de la biosphère de Los Tuxtlas. Aujourd’hui
sept villages disposent des équipements
et des connaissances pour recevoir des touristes
et poursuivent une collaboration avec les scientifiques.
Ecotourisme,
le vrai et le faux Au
Mexique, l’écotourisme désigne
tout et n’importe quoi à partir
du moment où l’activité
se déroule dans la nature. La moto
dans les dunes ou les parcs privés,
gros consommateurs de ressources, prennent
par exemple cette dénomination.
Dans un projet communautaire, l’ejido,
l’école ou la « collectivité
» en reçoivent une partie des
bénéfices. A Miguel Hidalgo,
l’école en plus de l’ejido
est associée et touche 10% des bénéfices.
Les membres réalisent bénévolement
des actions de réhabilitation du
milieu (reforestation, ramassage des déchets
sur la plage, sauvegarde d’une source).
Au Mexique, les universités associées
aux projets sont clairement indiquées
et sont une vraie garantie.
L’écotourisme monté
par un privé peut également
avoir une visée communautaire si
achats, emplois et formations apportent
un « mieux-être » social.
Mais là encore, aménagements
écologiques et protection sont visibles,
pour se nommer écotourisme.
En attendant que l’éternel
débat du label aboutisse en France,
une agence de voyages solidaire, éthique
ou équitable doit informer les touristes
sur ce qu’elle entend par là.
Certaines le sont réellement, d’autres
moins. Le dialogue et l’échange
sont des éléments clefs de
la démarche : il reste facile de
discerner une communauté qui accueille
ses visiteurs, d’un folklore muet
où personne n’a été
associé.
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Le
juste prix
En 1986, leurs collègues biologistes, depuis
leur station d’observation, tirent la sonnette
d’alarme face à ce qu’ils nomment
« une aberration. Des millions d’arbres
précieux partis en fumée pour installer
le bétail ». 85% de la couverture
forestière de Los Tuxtlas a disparu avec
pour conséquences immédiates une
érosion forte des sols dans un milieu volcanique,
une immense perte de biodiversité et un
risque élevé de dérégulation
du cycle de l’eau pour toute la région.
L’élevage bovin pour ce déboisement
n’a en rien réduit la pauvreté
et la perte de fertilité du sol n’amène
que le paysan à devenir pêcheur dans
la grande lagune de Sontecomapan. La majeure partie
de la population gagne moins de 50 pesos par jour
(6 US$) et l’immigration temporaire touche
20% de la population, voire 50% dans des communautés
reculées.
SUITE
© EKWO
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DOSSIER
EKWO ATTITUDE
Texte et photo: Anne VIGNA
Journaliste et présidente de l’association
française EchoWay qui promeut un tourisme
responsable (www.echoway.org)
La
création par décret présidentiel
de la réserve de la biosphère de
Los Tuxtlas sur 155 000 hectares en 1998, après
un fort « lobbying » et des études
alarmantes, a sans doute sorti l’environnement
d’un processus de destruction. Mais, pour
certains villages dont celui de Miguel Hidalgo,
le décret a signifié expropriation
de 2200 hectares, contre une indemnisation dérisoire
de 2000 pesos (150 US$) par hectare. « C’est
vrai que le gouvernement n’a pas payé
le juste prix. Tous les projets initiés
par les universitaires ont voulu créer
une activité soutenable sans attendre l’indemnisation
» explique José Escobar, directeur
adjoint de la réserve.
Outils
d’émancipation
Luisa Paré et son équipe travaillaient
déjà à titre associatif avec
ces communautés sur une
utilisation « autre » des ressources
naturelles. « On pensait que les touristes
ne cherchaient que la plage et on ne pouvait même
pas imaginer que nos cascades, notre forêt
pouvaient leur plaire » raconte Luis Ramos
Sedano, guide dans le projet de Miguel Hidalgo.
En pleine forêt tropicale, ce projet dispose
comme les six autres de la RECT, de cabanes en
matériaux naturels avec des aménagements
écologiques (traitement des eaux grises,
toilettes sèches, panneaux solaires, composts
organiques). L’attraction réside
dans la découverte du milieu avec les locaux
: « l’écotourisme a l’immense
avantage de débuter par une mise en valeur
d’un patrimoine et la formation des gens
à sa connaissance » décrit
Luisa Paré.
Des biologistes de l’UNAM mettent en place
un cycle de formation réactualisé
tous les deux ans, avec des cursus en biologie
et connaissance des plantes pour les futurs guides.
Avec eux, ils tracent des circuits sécurisés
et thématiques (« sentiers interprétatifs
») vers la cascade de 55 mètres de
haut, la grotte aux chauves-souris, et le cœur
de la réserve. Le département des
sciences sociales de l’UNAM enseigne des
notions en nutrition, hygiène et administration.
Si les femmes ont principalement en charge la
réception du client, plusieurs jeunes filles
ont été formées comme guides
dans le dernier projet de la RECT, à las
Margaritas. « L’écotourisme
amène un salaire, toujours bienvenu en
particulier pour les femmes « chef de famille
» avec l’immigration. Mais le plus
important ce sont les formations : elles sont
vécues comme des outils d’émancipation
face à ce désarroi d’être
seule, jeune et d’avoir un foyer »,
explique Guadalupe Lopez.
Salle
d’école
Après huit ans d’expériences,
les projets de la RECT n’affichent pas la
même avancée et possèdent
une même faiblesse au niveau de la promotion.
Totalement inconnue du marché international
– la RECT n’est pas dans les guides
de voyage – le projet ne fonctionne qu’avec
des groupes venus de Mexico. « Nous n’aurons
jamais les moyens de rivaliser avec les espaces
de publicité que s’offre le tourisme
classique, et encore moins à l’étranger
» explique Victor Hugo Aviles, qui assure
la promotion de la RECT sur Mexico, une structure
montée par le biologiste Ruben Cruz qui
a travaillé avec Luisa Paré.
Seul Lopez Mateos, premier projet du réseau,
tire de réels bénéfices qui
permette de parler d’activité économique
: 44 personnes y travaillent par intermittence.
Mais certaines structures n’ont pas convaincu
leur communauté de leur bien fondé.
Ainsi le projet de Sontecomapan n’a intéressé
que cinq personnes pour 2500 habitants.
Dans son dernier ouvrage qui relate l’expérience,
Luisa Paré se critique avec une grande
honnêteté et simplicité. «
C’est une des premières expériences
poussées à ce stade, il est important
de faire toutes les critiques » dit-elle
en introduction. Elle reproche aux intervenants
extérieurs (les scientifiques) une trop
grande implication même affective avec le
projet et un manque d’initiative propre
aux locaux. « Ils nous ont reproché
très justement de ne pas les avoir impliqués
dans la recherche de financement. Ils m’ont
dit un jour « nous avons eu le lait sans
voir les pies de la vache » écrit
Luisa Paré. Pourtant les locaux décrivent
l’expérience comme un grand changement
dans leur vie.
A
travers les mangroves de la lagune de Sontecomapan,
Arvel face à vingt touristes de Mexico
raconte l’arbre, le crocodile, le pélican,
l’approvisionnement en eau potable de la
ville voisine de Santiago, le plastique sur la
plage, le prix du poisson, la reforestation. Fluidité,
aisance, la ville est là, écoute,
s’étonne, « ne savait pas ».
Arvel dit « qu’avant, il n’avait
pas les mots pour expliquer, pour s’exprimer
». En prenant le « prétexte
» de l’écotourisme pour insuffler
de nouvelles optiques de développement,
l’équipe de l’UNAM a déjà
gagné sur le pari de l’éducation
ambientale. Reste aujourd’hui, à
engendrer une spirale de solidarité au-delà
des volcans de Los Tuxtlas.
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