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100 ans de confiscation des ressources alimentaires
Finances Solidaires


À dévorer avant qu’on ne vous dévore !

La guerre au vivant, Jean-Pierre Berlan, éditions Agone

L’Impasse alimentaire, ouvrage collectif du Comité de veille de la fondation Nicolas Hulot, éditions Fayard

Génétiquement incorrect, Gilles Eric Seralini, Flammarion

Le Guide des semences plants biologiques et biodynamiques avec le réseau semences paysannes, éd. Alterrenat presse

Ces maladies créées par l’homme, Dr. Dominique Belpomme, éd. Albin Michel

Objectifbio2007

Avec 2 kg de pesticides par habitant et par an, la France détient un record mondial. De même pour le taux de cancer de 20 % supérieur à la moyenne européenne, sans compter la montée des maladies neurologiques et des allergies, la chute de nos défenses immunitaires et de la fertilité masculine. Les rapports officiels pointent notre alimentation. « Les produits biologiques semblent chers à cause des distorsions de la PAC. Le consommateur ignore qu’avant de payer son marché, il a contribué aux 27 milliards de subventions européennes dont 80 % concernent les exploitations les plus polluantes, aux 27 % d’augmentation du prix de l’eau empoisonnée par les agrotoxiques et à l’explosion des coûts de santé publique », martèle Philippe Desbrosses, Président d’OjectifBio 2007, « La PAC à la Française discrimine aussi l’agriculture paysanne par rapport à ses confrères européens. Nos surfaces régressent tandis que 30% des produits bio sont importés pour satisfaire l’augmentation de la demande. » La filière, soutenue par des associations de médecins, de chercheurs et de protecteurs de la nature, demande aux candidats aux élections présidentielles en 2007 de s’engager devant les électeurs pour la reconversion vers une agriculture durable, accessible à tous.
Pour en savoir plus : www.objectifbio2007.com


100 ans de confiscation des ressources alimentaires

« La politique agricole doit offrir aux agriculteurs des incitations à produire ce que veulent les consommateurs et non ce qui donne droit aux subventions les plus élevées. Et ce qu’ils veulent… ce sont des denrées saines et de qualité, un environnement propre et une gestion durable des terres agricoles. » Cette introduction du Commissaire Franz Fischler à la révision de la Politique Agricole Commune n’omet qu’un détail : après cent ans de confiscation des ressources, les agriculteurs peuvent-ils encore produire ces denrées ?

Les semences commercialisables en Europe figurent sur un Catalogue Officiel. Le droit d’inscription s’élève à 15 000 € pour une céréale et 4000 € pour une plante potagère. Il existe bien une liste « amateur » à prix réduit, de l’ordre de 200 € par variété. L’inscription sur cette liste permet d’échanger les semences avec des jardiniers amateurs, en aucun cas de les vendre à des professionnels ! Résultat de cette réglementation : quatre sortes de clones, appelés à tort « variétés », fournissent 80% des farines de blé tandis que 80% des légumes cultivés il y a 50 ans ont disparu de nos étals.

La situation va s’aggraver avec la récente transcription de la Directive 98/44/CE sur la brevetabilité des inventions biotechnologiques. Celle-ci accorde la propriété intellectuelle sur tout matériel génétique, gène ou séquence de gène, associé à une « innovation ». Chaque utilisateur de ce « matériel » devra payer des royalties à son propriétaire. Or les paysans créent ou maintiennent des centaines de variétés qui évoluent avec la diversité des terroirs. Comment savoir si leurs propres semences contiennent un gène breveté à leur insu ? Comment protéger leurs collections du pillage, par gènes interposés ? Seront-ils passibles de la répression des fraudes pour avoir maintenu en vie ce qui reste du patrimoine paysan ? Quant à la recherche publique, aura-t-elle encore accès au matériel génétique ? Loin de favoriser l’innovation, cette mesure tend à étouffer la diversité au profit de quelques clones, certifiés et brevetés pour satisfaire les appétits… de la filière agroalimentaire.



À l’heure de la Charte de l’environnement, des déclarations internationales sur l’eau, l’alimentation, la biodiversité, les changements climatiques ou la santé environnementale, le système des brevets attribue le monopole des ressources génétiques à une poignée de multinationales. De fusions en acquisitions, celles-ci contrôlent désormais le citoyen et son environnement, des semences aux médicaments, en passant par les agrotoxiques de la pétrochimie. Ce hold-up aura pris moins de deux siècles.

Kokopelli dans le maquis ?

L’association Kokopelli a dédoublé ses collections de ressources génétiques en Inde du Sud. Pour son Président, Dominique Guillet, il s’agit avant tout de fournir gratuitement aux paysans indiens des semences cultivables sans engrais ni pesticides avec formation aux meilleures techniques biologiques. Le Centre de ressources est situé dans le jardin botanique d’Auroville, près de Pondichery. Un second centre se développe sur les hauts plateaux du Tamil Nadu. Les paysans y sont formés à l’agriculture biodynamique et leurs produits commercialisés sur des bases équitables (cf. EKWO n° 7, Elephant Valley).
L’association participe également au sauvetage de la diversité des semences en France.
Nous pouvons soutenir son action en adoptant l’une des innombrables variétés qu’elle maintient en vie.
Pour en savoir plus :
www.kokopelli.asso.fr
www.elephantvalley.com

La phase cachée de « l’Odyssée végétale »

Tout a commencé à pas feutré, avec le progrès des sciences et des techniques à l’ère industrielle. Jean-Pierre Berlan, Directeur de recherche à l’INRA, auteur de La guerre au vivant, a relaté les étapes historiques qui mènent à la panacée brevetée « des inventions biotechnologiques ». En 1836, John Le Couteur, gentilhomme de Jersey, codifie la première méthode de production standard. Les champs de blé ou d’orge présentent à cette époque une variété de plantes différentes dont chacune semble se reproduire à l’identique. Il isole celles qui paraissent les plus prometteuses, les multiplient à partir d’un grain ou d’un épi et choisit la meilleure. Puis il plante cette « sorte pure », au lieu du mélange initial. Il réalise ainsi un clone avant la lettre. Le Major Halett perfectionne la technique en poursuivant la sélection du clone à chaque génération, car, prétend-t-il, les « variétés se détériorent » dans le champ de l’agriculteur, seul le sélectionneur peut les maintenir à leur plus haut niveau. Il déclare son blé « pedigree ». La démarche repose sur une erreur scientifique, ces plantes étant génétiquement semblables, mais personne ne le sait encore. Halett ouvre surtout la voie à une révolution économique. En 1907, le Néerlandais, Hugo De Vries observe : « Dans la technique de Le Couteur, chacun peut (isoler et) multiplier les plantes avec le même succès que le sélectionneur, mais sur la base des principes de Halett, tout le profit de la production de semences reste dans la main de celui qui possède le pedigree original ». Ce qui a véritablement germé, c’est le principe de la confiscation des semences et ses perspectives de profit pour le sélectionneur !

Les hybrides F1: des enfants stériles nés sous X

En 1909, l’Américain Shull franchit un pas de plus à l’aide d’une autre théorie, «l’hétérosis », que personne n’a jamais pu valider. La technique des lignées pures s’appliquait à des plantes qui se recopient à l’identique sans partenaire, comme le blé ou la pomme de terre. Il va l’adapter au maïs, plante naturellement hybride, dont la reproduction prévoie l’intervention de deux partenaires. Pour obtenir artificiellement des lignées pures, il contraint chaque partenaire à s’auto féconder pendant plusieurs générations. Il choisit parmi ces lignées pures, deux parents qu’il laisse s’hybrider selon la loi de l’espèce.
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DOSSIER EKWO ATTITUDE

Texte : Marie Hellouin


Il vend au paysan les fruits de cette union en tant que « semences hybrides de première génération » (F 1 pour First Génération). Ces semences donneront des plantes tellement consanguines que le paysan ne pourra pas réutiliser le grain de sa récolte. L’identité des parents fait généralement partie des secrets de fabrication conservés par le sélectionneur. Le paysan n’a pas d’autre choix que de lui racheter des semences chaque année. La perspective de cette rente inespérée attire les investisseurs. Toute la recherche se porte sur les hybrides F1 dont les rendements décuplent. Bientôt les agriculteurs doivent s’abonner à ce qu’ils ont surnommé « le maïs mule ». Selon Jean Pierre Berlan, la technique est aléatoire et ruineuse. Shull a surtout profité de l’ignorance scientifique pour justifier « au nom de la science » un moyen d’empêcher les plantes de se reproduire gratuitement dans le champ du paysan. Étrange conception du progrès ! « Si les paysans pouvaient ressemer le grain récolté, ils économiseraient chaque année 500 millions d’euros, l’équivalent du budget de la recherche publique à l’INRA » déplore le chercheur. Ce principe a fait la fortune des semenciers : chaque printemps, nous rachetons à prix d’or des plantes qu’il faut gaver d’engrais et laquer de pesticides sous peine de les voir succomber à la première attaque de cochenille. Regardons les étiquettes, ce sont des hybrides F1…

Sauvons les semences !

Le réseau semences paysannes et son Président, Guy Kastler, appellent les consommateurs à soutenir la création en France d’un catalogue « des variétés de conservation » selon leurs propres critères, afin de pouvoir protéger la diversité des semences de toute appropriation par un brevet ou un Certificat, les échanger et les vendre librement, comme le propose la directive 98/95/CE. Transcrite en droit français, la loi attend toujours son arrêté. Selon le réseau, l’État refuse la concertation sur les modalités de son application.
Pour en savoir plus et signer la pétition : www.passerelleco.info semencepaysanne@wanadoo.fr, Semences paysannes, Cazalens, 81600 Brens.

L’Europe, de la guerre à la PAC

Sur le continent, l’agriculture a peu évolué jusqu’au début du XXè siècle. La forêt attise les conflits entre les droits d’usage des agriculteurs et les besoins de l’industrie. La grande guerre n’a rien arrangé, la France manque toujours de bois, maintenant, elle manque de bras. L’État va jouer coup double. Pour attirer la main d’œuvre vers l’industrie, il va séparer la production végétale de l’élevage, libérer les forêts du bétail et remplacer le fumier animal par la chimie. Le 6 juin 1918, il donne mission à l’Union des Industries pour la Protection des Plantes (UIPP) de convertir les explosifs et les gaz militaires en engrais chimiques. Pendant ce temps, la sélection de semences attire les vocations. Le meilleur et le pire s’y côtoient dans un vide juridique complet. Il faut moraliser le marché. Les Certificats d’Obtention Végétale font leur apparition dans les années 30. Bientôt la Shell Petroleum évalue la quantité d’engrais de synthèse qu’elle pourra fournir en remplacement des fumures naturelles (2, 5 milliards de tonnes !). De son côté, la France crée l’Institut National de Recherche Agronomique dont la priorité est d’adapter les espèces domestiques aux intrants industriels. En 1957, la Politique Agricole Commune scelle les bases de l’Union Européenne par le Traité de Rome. Elle sera déclinée par la Loi Pisani qui vise à « accroître la productivité agricole en développant et en vulgarisant le progrès technique. » Les rendements augmentent. L’exode rural s’accélère. Selon Philippe Desbrosses, co-auteur de L’Impasse alimentaire, 10 millions de personnes vont être déplacées en 40 ans. En 1961, l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) encadre le marché des semences sur le modèle français, à l’échelle européenne. Les obtentions certifiées demeurent libres d’accès pour la recherche de nouvelles variétés. Le droit du paysan à ressemer le grain récolté n’est pas remis en cause. L’UPOV n’a qu’un effet pervers : elle insinue le principe juridique de la confiscation.



Le piège se referme

En 1981, le décret d’application d’une directive européenne impose l’inscription des nouvelles variétés au Catalogue officiel avant toute commercialisation dans l’espace de la PAC. Les critères d’inscription exigent la Distinction, l’Homogénéité et la Stabilité (DHS) des nouveautés. Autrement dit, seuls les clones, construits par et pour l’industrie, avec le cocktail agrochimique dont ils dépendent, sont autorisés à la vente. Les petits sélectionneurs disparaissent avec leurs précieuses collections. Les variétés anciennes ou locales inscrites par l’État au titre du Domaine Public sont maintenues au Catalogue en fonction de la demande. Les incitations de la PAC en détourneront les professionnels : il n’en reste plus aujourd’hui que 2 %. Pourtant, l’agriculture biologique commence à attirer les consommateurs. La grande distribution saisit la tendance. Les semences paysannes continuent de circuler en réseau. Les producteurs se fédèrent et créent leurs propres filières. Pour bloquer le marché, les grands semenciers lancent une gamme de « variétés clones », dites « biologiques ». Bientôt, une rubrique « Variétés amateurs » apparaît au Catalogue Officiel. Hélas, les fameux critères DHS sont incompatibles avec la variabilité recherchée par les paysans. Leurs semences se retrouvent hors la loi. Mais tout cela n’arrête pas le progrès. Depuis 1980, la Cour suprême des États-Unis a adopté le principe de « brevetabilité du vivant ». Sous couvert d’aide alimentaire, les Majors américaines imposent leurs organismes brevetés à travers le monde. Ces plantes sont génétiquement stérilisées ou modifiés en fonction de leurs marques de pesticides. La Commission s’inquiète du « retard technologique » de l’Europe. Sous la pression du public, 6 pays, dont la France, obtiennent un moratoire sur la commercialisation des Organismes Génétiquement Modifiés. Le même Franz Fischler, si attentif aux désirs des consommateurs, appelle les politiques à ne pas céder au « populisme des opposants ». Le 8 décembre dernier, avec quatre ans de retard, la Directive portant sur la brevetabilité du vivant est entrée en application en France. Elle repose sur l’hypothèse dépassée qu’un gène commande une protéine. Nous savons aujourd’hui qu’un gène a de multiples fonctions dont les modalités restent à découvrir. Le brevet sur le matériel génétique n’a d’autre mérite que de protéger une invention profitable à son propriétaire, d’en confisquer l’accès pour de nouvelles recherches ou de le monnayer à prix d’or. Paysans, chercheurs et consommateurs sont pris en otage. Resteront-ils les bras croisés ?